Réflexion à propos de l'ouvrage de Sigmund Freud paru en 1930 et d'actualité criante.
Selon que l’on lise les éditions Puf ou Payot, la traduction diffère soit en malaise dans la culture soit dans malaise dans la civilisation, et selon les éditeurs depuis la première traduction en 1934, les deux titres ont alterné entre culture et civilisation. Comme quoi la formule traduire c’est trahir peut prendre alors tout son sens.
Le titre original étant : Das Unbehagen in der Kultur.
Qu’appelle t’on civilisation ? : « c’est la totalité des œuvres et organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la relations des hommes entre eux »
Indubitablement la culture fait civilisation donc en s’opposant à la nature et empêchant la barbarie.
Maintenant de quelle nature parle-t-on, si c’est la nature humaine avec ces penchants barbares, la culture faisant civilisation empêcherait toute forme de barbarie, nous savons qu’il n’en est rien, l’histoire nous a montré que les civilisations les plus avancées culturellement des grecs, romains ou allemandes étaient capable des actes les plus criminels, la culture ne peut alors être considéré comme un garde-fou.
Freud a écrit son livre en 1929 après la catastrophe de la guerre de 14 et avant la deuxième guerre mondiale et les pires massacres de toute l’histoire de l’humanité. Il se pose la question de savoir si la méthode psychanalytique peut servir à comprendre ce qui se trame dans les foules, les masses pour que le collectif bascule dans la barbarie. Peut-on calquer ce qui se passe dans la psyché humaine à ce qui se passe dans le collectif ?
L’homme est un individu qui vit dans un collectif, nous ne pouvons tomber hors de ce monde [1]nous dit Freud, Kafka nous soufflant : Dans ton combat avec le monde assiste le monde. Les deux se rejoignent dans l’idée d' un combat entre soi et le monde, entre les désirs de l’homme in-dividu et le collectif qui a tendance à vouloir unir de manière civilisationnel les hommes, la religion étant le concept le plus employé à travers les âges pour cela.
Quel est le type de combat entre soi et le monde, c’est un combat de désirs à assouvir : c’est donc le principe de plaisir de fixer le but de la vie, le principe de plaisir narcissique est confronté au principe de réalité, en effet et c’est là que Kafka parle de combat, cette quête de plaisir ne peut être illimité, si l’on veut être il est un moment où l’on se heurte à principe de réalité de l’autre et du monde ou à plonger dans la barbarie et éliminer l’autre qui bloque tous les bas instincts de mammifère primitif.
La satisfaction libidinale peut passer alors par une sorte de négociation et de renoncements soit par névrose, intoxication ou psychose, la religion évite cela, la religion donne une solution en s’extrayant du monde terrestre. La culture, elle est une sublimation, substitution aux besoins naturels; le plaisir intellectuelle, l’art, la science ne sont malheureusement accessible qu’au petit nombre nous dit Freud, d’où la revalorisation du travail en tant qu’instrument de bonheur et importance de l’école dans l’apprentissage de la raison.
N’empêche si l’équilibre et l’harmonie n’est pas trouvé entre la satisfaction sexuelle, le bonheur plaisir dans le travail et non par nécessité et dans la vie sociale, le combat de Kafka s’engage entre soi et le monde.
Il est certain que de nos jours dans nos société occidentales certaines analyses de Freud ne peuvent s’appliquer :
· Les femmes ne sont plus réduites comme au début du XX° siècle à leur rôle génitrices et maternelles.
· Elles peuvent librement vivre leur sexualité
· L’adultère ou les divorces ne sont plus condamnés par la société
· Nos sociétés sont sécularisées et ne sont plus régit par l’ordre moral des religions (bien que ce combat soit toujours à mener face à l’entrisme des islamistes)
· Les homosexuels peuvent librement vivre leur sexualité et sont même reconnus civilement par le mariage
Son raisonnement faisant de la société ou de la culture judéo-chrétienne un obstacle à la satisfaction de l’individu est moins pertinent mais à l’inverse on peut se poser la question si le curseur n’a pas basculé dans l’autre sens dans cette primauté du moi je, de l’individualisme forcené, du tout à l’ego, de la suprématie du plaisir personnel à n’importe quel prix même si c’est en opposition totale avec le collectif. N’est-on pas parvenu à un effacement total de la civilisation, de la culture au profit du plaisir immédiat narcissique? Freud nous le souligne: la recherche de la jouissance maximale et l’évitement de la douleur ne peuvent être atteint en raison même de l’ordre de l’univers, d’où sans doute cette création de ce monde parallèle virtuel que sont les réseaux sociaux échappant aux règles du monde réel. J’y vois un refus de se confronter au principe de réalité.
L’absence de culture laisse libre court à la libération des pulsions primaires de l’homme, sans culture et sans sublimation qu’elle apporte dans l’expression de la libido individuelle on peut parler d’ensauvagement, assimilable à la pulsion de mort dont parle Freud, cette pulsion tendant à revenir à l’état initiale de l’homme, aux origines, une régression ou de stagnation(Cugnot) et là nous retrouvons ce combat entre soi et le monde, le but de la civilisation étant de faire unité donc de brider l’individu dans son expression libidinale.
La distinction est donc bien à faire, à mon sens, entre culture et civilisation : la civilisation a tendance à unifier les hommes en une masse intiment liée, la religion instituant une « culture » commune régissant la vie de chacun mais le problème se pose alors dans notre société sécularisée ou la religion ne fait plus unité et si la culture enseignée à tous n’est plus ce garde-fou , un vide est créé et dans ce vide peut à nouveau s’engouffrer tous les obscurantismes et toutes les manifestation de violence
Sans doute par rapport à l’époque de Freud sommes-nous à ce stade ou il faut distinguer culture et civilisation et ne considérer que la seule civilisation permet à l’homme l’expression harmonieuse de sa libido, une civilisation des lumières basée sur la raison, la laïcité et non la religion.
Certes en chacun de nous l’opposition entre pulsion de mort et pulsion de vie restera toujours un combat entre soi et soi entre nos pulsions primitives et nos pulsions de progrès.
Voilà ce que la lecture de malaise dans la culture m’a inspiré ; ces notions de pulsions de mort et pulsions de vie étaient souvent contesté par de nombreux psychanalyste mais il est certain que vie et mort sont imbriqués totalement, nous naissons pour mourir et la naissance est déjà le premier acte vers la mort, si nous suivons les théories de Rank l’acte sexuel est une revivance de la naissance donc aussi de la mort et pour Ferenczi l’acte sexuel est aussi le désir de retrouver l’humidité première du milieu marin mais aussi ce besoin d’unification entre la terre et l’océan, entre le père et la mère. Le coït est une décharge partielle de l’effet de choc du traumatisme de la naissance qui n’a pas été liquidé. Nous sommes animés par le principe de plaisir lié à la pulsion de mort et également animé par la pulsion de vie non dans un refus de la mort mais dans un désir de progrès et de création d’autre chose que ce qui a été déterminé par d’autres., avec toujours cette tendance à revenir à la création originelle : sa naissance ou peut-être pour le collectif à la naissance du monde. Trouver l’équilibre entre ces deux pulsions à priori contradictoires ne pourrait se réaliser qu’en ayant un moi fort ne subissant pas les influences du surmoi et du ça. (2)
[1] Christian D Grabbe cité p 44 (Ed petite bibliothèque Payot)
(2)Le moi :avant tout un moi corporel = siège de la conscience
Le ça : Grand réservoir libidinal, contenu pulsionnel d’ordre inconscient= chaos de passions indomptées ; le Ça héréditaire abrite les restes d'innombrables existences individuelles,
Le surmoi, idéal du moi : est parental et représente la prise du sujet dans une tradition= fonction de censure à l’égard du moi.
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