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IDENTITÉS ?

Dernière mise à jour : 17 déc. 2022




Levinas nous dit que lorsque l’on s’interroge sur son identité c’est qu’on l’a déjà perdu, mais n’est-ce pas le propre de l’homme de s’interroger ?

N’est-ce pas le sens de la vie de douter encore et encore alors pourquoi ne pas se questionner sur nos identités? Et quoi de plus transformant que de s’interroger sur son identité ?

Et si je l’ai perdu c’est qu’elle n’était pas bien amarrée à moi, quoi donc de plus passionnant de la rechercher, de partir à l’aventure de la quête de soi à une condition tout de fois comme nous le conseille Martin Buber : « commencer par soi et non finir par soi ».

Un livre « il n’y a pas de Ajar » de Delphine Horvilleur nous interroge : qui sommes-nous? Qu’est-ce que l’identité ? est-elle un entre soi, est-elle unique ou multiple ? est-elle un résidu du passé ou une reproduction fidèle de ce passé ? appartenons-nous à un groupe, une communauté ?

Est-elle l’image sociale que nous renvoyons ? est-elle une prison, un enfermement ou une quête de sens ?


Étymologie

Si on se rapproche de l’étymologie en français, le mot vient du latin identitas, -atis, et du latin classique idem qui veut dire le même, l’identité serait alors le même, le caractère de ce qui est identique, confondu.

Question : sommes-nous tous pareils, le même nous habite-t-il ? Au secours, help ! l’autre assigne, désigne comme tel, demande de rentrer dans une case identitaire, ou est ont? dans quel compartiment : blanc, hétérosexuel, non déconstruit, bourgeois, dominant, dominé....et que sais-je encore ? Non, non et non laissez-nous revendiquer la non-identification, le nowhere identitaire, intéressant d’ailleurs ce mot en anglais qui de décompose en now et here :nulle part se décompose en maintenant et ici. Être ce que nous ressentons, être ici et maintenant, refuser l’essentialisation, l’assignation qui ne peut mener qu’à la tribalisation de ce monde.

L’identité par les papiers

Il y a les pièces d’identité, les numéros de sécurité sociale, les IP de nos ordinateurs, et tous les numéros d’identification numériques. Est-ce suffisant pour nous identifier réellement ? est-ce que cela nous définit il ?

Refusons à être définis, être finis c’est être arrivé, être complet. Dans d’autres ouvrages Delphine Horvilleur nous parle de cette incomplétude caractéristique juive car s’il y a incomplétude il y a quête de compléments, quête d’un manque et la recherche de cette plénitude n’est jamais finis tant que nous vivons. Et Émile Ajar de nous répondre : Vous vous sentez apaisé, sûr de votre identité, désangoissé. Vous risquez donc de ne plus avoir besoin de créer.[1] et de surenchérir : Je ne veux pas être identifié. Personne n'a une vraie photo de moi, personne ne sait où j’habite. Tous les bouts sont cachés. On me croit un itinérant, vivant hors de France. J'ai un dossier de police chargé et je ne peux pas rentrer. Il ne s'agit pas d'être « récupéré » par la société, ce n'est pas la question. Ce qui existe, c'est la récupération de soi-même à son propre profit. Non seulement ça existe, mais c'est même le véritable triomphe d'exister.

Un poète anar chantant lui emboite le pas de sa prose à propos de la création :

J’ai bu du Waterman et j'ai bouffé Littré Et je repousse du goulot de la syntaxe A faire se pâmer les précieux à l'arrêt La phrase m'a poussé au ventre comme un axe

J'ai fait un bail de trois six neuf aux adjectifs Qui viennent se dorer le mou à ma lanterne Et j'ai joué au casino les subjonctifs La chemise à Claudel et les cons dits " modernes "

…Poète, vos papiers !

…Poète... circulez ! Circulez poète ! Circulez !


Le Dibbouk :

Delphine Horvilleur nous raconte une histoire de Dibbouk qui l’habite , Ce Dibbouk se nomme Émile Ajar ou plutôt Romain Gary ou encore Shatan Bogatou ou encore Fosco Sinibaldi et à l’origine Romain Kacew né à Vilnius en 1914, fils d'Arieh-Leïb Kacew et de Mina Owczyńska devenu un symbole, un pseudo, une histoire de quête infinie, un exil perpétuel dans une recherche de soi, un multilingue, un juif errant, tantôt aviateur, diplomate, scénariste, et surtout écrivain aux identités multiples, amoureux d’une langue qui ne lui est pas maternelle bien que sa mère soit atteint selon lui d’une maladie assez courante chez les juifs d’Europe de l’est, il veut parler de la francophilie aigue.

Identité habitée par un dibbouk ; Dans la première scène de la pièce de An-Ski, le premier Batlan synthétise en une phrase toute problématique de ce monde, de notre vie d’humain et de la trame de ce qui va se dérouler sous nos yeux profanes : Il y a des choses derrières les choses [2] et plus loin : L’homme vient sur la terre pour une vie bien longue ! si il n’a pas eu son compte de temps dans ce monde, il y demeure [3]…..Son âme revient sur terre .. elle revient , son âme pour toutes les actions qu’il méditait [4] En échos Walter Benjamin y répond, je cite : Entre les générations passées et la nôtre existe un rendez-vous mystérieux ... Ne sommes-nous pas nous-mêmes effleurés par un souffle d’air qui a entouré ceux qui nous ont précédés ? N’y a-t-il pas dans les voix auxquelles nous prêtons attention un écho de celles qui se sont tues ? […] Si tel est le cas, alors il existe un accord secret entre les générations passées et la nôtre.... . [5]

Otto Rank disciple de Freud lui parle d’un double moi du passé qui est le reflet de son moi présent et qui hante comme un fantôme.

Pour Freud le Ça héréditaire abrite les restes d'innombrables existences individuelles, Pour CG Jung il existe un inconscient collectif et un inconscient familial ou subsistent des traces mnésiques de traumas se transmettant de générations en générations ce à quoi Ferenczi répond : Ce que nous appelons hérédité n’est peut-être que le transfert à la descendance de la plus grande partie de la tâche pénible de liquider les traumatismes.

Émile Ajar nous en parle de cette hérédité sensée nous identifier : Il y eut ensuite une nouvelle prodigieuse : des savants américains avaient réussi à fabriquer un gène artificiel, l’unité de base de l’hérédité. Artificiellement. J’ai eu un tel coup d’espoir que je me suis précipité tout nu dans la rue en gueulant « Alleluia ! ». On m’a emmené illico au poste et quand j’ai expliqué au commissaire Paternel qu’il allait y avoir origine, que nous allions enfin nous donner naissance, qu’on allait être les fils de nos propres œuvres et non pas des fils de putes, qu’on allait avoir enfin une espèce humaine sans gène originelle, sans flics et sans idéologie nucléaire, on m’a cassé la gueule à l’unanimité. Mais ça ne m’a pas empêché d’espérer et de courir dans les rues en distribuant des tracts et de gueuler que l’hérédité de papa, c’est fini. On m’a interné.[6]

Delphine Horvilleur nous parle d’un dibbouk littéraire, mais dans cette grande foire qu’est notre psychisme, réside sans aucun doute de nombreux Dibbouks qui sont d’autant d’archétypes générateurs d’identités multiples. Ces dibbouk littéraires nous créent, nous constituent aussi surement que ce que nos pères et mères nous ont transmis

Le passé

Et puis il y a en a d’autres qui rejettent les idoles du passé de leur père, tel Abraham et selon l’injonction de Nietzsche « deviennent ce que l’on est »!

Delphine Horvilleur le rappelle : en hébreux le verbe être ça n’existe pas au présent .. Tu peux conjuguer le verbe être au passé ou au futur. Nous pouvons y trouver une explication à la citation de Nietzsche, le but n’est pas de se trouver un être caché, une identité enfouie dans les tréfonds de notre histoire mais de devenir, d’avoir été au travers de nos aïeux et de devenir autre, de tracer sa propre route, le devient est mouvement de vie, évitant de s’accrocher à une quelconque pureté identitaire. Le passé inscrit en nous n’est pas générateur de clones, notre identité ne peut se contenter de reproduire le passé qui n’est que la source d’une invention de soi qui se construit jour après jour. J’entend alors un violon sur le toit me chanter à l’oreille : tradition, tradition : Elles nous aident à construire notre identité à travers les légendes et les mythes, la tradition ne peut se contenter d’être une reproduction du passé mais ne pourrait-elle pas être plutôt l'avenir ainsi que nous le propose Régis Debray ?

L’appartenance

Et puis il y a ceux qui appartiennent avec ce sentiment très fort d’appartenance identitaire. Appartenir mais appartenir à qui, à quelqu’un, il y a donc un propriétaire qui aurait un acte de propriété sur soi ou alors il serait question d’une appartenance volontaire. L'appartenance identitaire c’est se restreindre à appartenir à un monde unique qui exclue les autres mondes, Saint Exupéry nous le confirme :« Celui qui diffère de moi loin de me léser m'enrichit. »

En tant que

Et puis il y a ceux qui commencent par se présenter en tant que comme un préambule à leur propos, ce en tant que les définit : en tant que médecin en tant que spécialiste de ceci, de cela, en tant que … la liste est longue. La femme ou l’homme se situe par rapport à la société, il se cache derrière sa profession, son statut, son image sociale. Carl Gustave Jung l’appelle la persona qui vient du du verbe personare, per-sonare en latin qui signifie : parler à travers. En tant que : c’est la persona qui se substitue au moi, masque l’individu dans sa réalité vrai, il n’est pas, il est la fonction, le titre, l’image que lui renvoie la société ; il ne devient plus que cette image. Son moi disparait sous l’apparence, l’illusion d’être quelqu’un qui n'est pas lui qui au fur et à mesure enfoui le moi dans les tréfonds de sa psyché. Son moi s’identifie à un autre qui se présente en tant que, qui

parle en tant que. Cette persona peut aussi être collective, il y a identification à un groupe ethnique, religieux, politique ; le modèle identitaire étant le chef, le leader à qui il veut ressembler, s‘identifier et à nouveau se perdre, il n’existe qu’à travers le groupe, retrouvant le même, son clone.

Si un accident social survient ou si il y a désillusion par rapport au chef l’image bien construite se fendille, elle craque jusqu’à devenir cendre et l’individu se retrouve en perdition identitaire, en dépression identitaire, il lui faut retrouver son véritable moi et cette retrouvaille de l’être ne pourra se faire que dans un long travail de redéfinition de soi, de renaissance de soi , de ré-augmentation de soi, il lui faut attiser les braises sous la cendre pour ranimer le feux de la vie et l’espoir de la découverte de l’autre en lui qui sommeillait.


Le sol

Et puis il y a ceux dont l’identité est liée à un sol, une terre. A ce propos citons le psychanalyste Max Kohn :« Quelle idée que d’avoir un sol, (pour des générations de juifs) cela ne veut rien dire ; la seule façon d’avoir un sol c’est de le chercher en soi, « avoir un sol est un leurre, nous avons le sol que nous nous donnons, quand nous recevons vraiment, quand nous faisons la place à l’inconscient en nous.[7]


Conclusion

Alors qu’est-ce l’identité en conclusion ? Je dirai que l’identité ce n’est pas que les papiers, ce n’est pas que l’histoire de nos aïeux, ce n’est pas que l’hérédité, ce n’est pas que l’appartenance, ce n’est pas que l’image sociale, ce n’est pas que le sol, ce n’est pas que et c’est tout cela et c’est sans doute aussi autre chose, l’identité ne se conjugue pas au singulier mais au pluriel. L’identité, la sienne c’est pouvoir prendre comme Romain Gary des pseudos qui peuvent à chaque fois créer, se re- créer, renaitre à sa naissance biologique.Martin Buber à l’appui dans les récits hassidiques rappelle cette maxime :

Près de sa fin, Rabbi Zousya prononça ces paroles. : " Dans le monde qui vient, la question qu'on va me poser, ce n'est pas: Pourquoi n'as-tu pas été Moise? Non. La question qu'on va me poser, c'est: Pourquoi n'as-tu pas été Zousya? " Autrement dit pourquoi n'as tu pas été toi ? La méthode de l'Analyse Active permet cette re-construction. Pour la découvrir prenez rendez vous en cliquant sur le lien: https://calendly.com/pat-abel/seance-analyse-active


Patrick Abel, 16/12/22

[1] Gary, Romain ; Ajar, Émile. Pseudo (Littérature Générale) (French Edition). Le Mercure de France. Édition du Kindle. Les pièces d’identités [2] Le dibbouk, Shlomo AN-Ski, le bruit des autres, 2004, page 12 [3] Le dibbouk, Shlomo AN-Ski, le bruit des autres, 2004, page 54 [4] Le dibbouk, Shlomo AN-Ski, le bruit des autres, 2004, page 57 [5] Benjamin, Walter. Sur le concept d'histoire (PR.PA.PF.PHILO.) (French Edition) . Payot. Édition du Kindle. [6] Gary, Romain ; Ajar, Émile. Pseudo (Littérature Générale) (French Edition). Le Mercure de France. Édition du Kindle. [7] Kohn M, Yiddishkeyt et psychanalyse, le transfert à une langue (Éditions MJWF, Paris, 2007, intro page 10).

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