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Silence et transmission: générations post shoah

Dernière mise à jour : 5 janv. 2021

Ce que nous appelons hérédité n’est peut-être que le transfert à la descendance de la plus grande partie de la tâche pénible de liquider les traumatismes (Sandor Ferenczi)


Les réflexions qui vont suivre ne sont aucunement à prendre pour une généralité, Chaque descendant de déporté a pu réagir de façon différente à la souffrance exprimée ou non d'un parent ou grand parent. Ce qui est par contre une certitude c'est que l'écho de l'horreur ne s'est pas bloqué au rescapé lui-même mais s'est diffusé au-delà d'une génération voire plusieurs et il n'est pas certain que cet écho diminue d'intensité dans le temps mais plutôt change de modalité d'effet.

Le retour dans le monde « civilisé » des rescapés de la Shoah fut brutal, aucune cellule psychologique n’est en place à l’époque. Le silence fut de mise, les souffrances n’étaient pas audibles ou trop fortes pour raconter. Comment raconter ? Comment mettre des mots ? Comment expliquer ? Comment est-ce arrivé, que s’est-il passé ? Pouvaient-ils parler à la place des morts ; pourquoi avoir survécu alors que le frère de captivité n’était pas revenu ? Devaient ils transmettre au monde ce qu’ils savaient sur le pouvoir destructeur de l’homme ? N’étaient-ils pas habités par la contagion du mal ?

Les questions semblaient pour beaucoup interdites parce que les réponses non audibles renvoyaient à une responsabilité collective, une culpabilité ?

La famille, les témoins, la société, la culture les a fait taire et condamner au silence.

C’est une particularité française à souligner : l’attitude officielle fut à la censure et la spécificité juive de la déportation fut gommée. Pour exemple les familles juives reçurent de l’état une note indiquant que leurs parents étaient « morts pour la France ».

Ils ont vécu ce que Nathalie Zajde nomme une « expérience de non-sens » et la réponse de la société à leur retour fut une non-réponse : La société dans son ensemble va les enjoindre de se taire et les conforter dans leur propre silence.

Survivre et vivre, les survivants ont survécu, et ce qu’ils désirent le plus au monde c’est vivre, vivre cela veut dire ne plus se souvenir, oublier pour reconstruire sa vie avec le désir profond de se fondre dans l’anonymat social. Ces silences sont comme une tentative de libération du passé, une décision de ne pas s’y soumettre. C’est un choix et une impossibilité de langage.

Malgré eux ils ont une double vie : une sous contrôle le jour et une nocturne hors contrôle habitée par les cauchemars. Ils ont ce désir de vivre et de fonder une famille.

Le bonheur éprouvé à la naissance des enfants est immense, comme une revanche sur les bourreaux : ces enfants portent en eux la réincarnation de la vie, la victoire sur la mort.

Mais ces naissances vont encore plus ancrer le désir de garder silence afin de les protéger au mieux. Il ne faut pas perdre contrôle, que la souffrance débordante n’envahisse l’enfant. Il faut donc garder silence ou au mieux ou au pire, ne raconter que certaines bribes.

Parfois le désir d’assimilation d’avant la shoah a poussé certains à gommer les origines. A part quelques formes traditionnelles du judaïsme de ci-de-là qui restaient, le silence commençait à s’installer sur leur identité et sur leur origine. La Shoah pour beaucoup allait confirmer qu’être juif est porteur de souffrance.

Les nazis ont condamné tout un peuple a « n’être qu’une espèce » (le rapport Brodeck, P Claudel) alors le silence identitaire en rupture d’avec la tradition s’installe mais le silence absolu n’existe pas, il y a des échos et ces échos vont rentrer en résonance chez leurs enfants.

Les génération d’après Shoah ne réclament rien, ils ont vécu leur enfance et leur jeunesse dans les « 30 glorieuses » Ils sont parfaitement intégrés dans la société et sont les enfants de l’école laïque et républicaine. Ils sont les enfants ou petits-enfants de parents exceptionnels, héroïques, survivants de la shoah qui avec force et volonté ont reconstruit leur vie.

Cette reconstruction s’est faite sur le silence de ce qu’ils ont vécu et grâce à ce silence mais le « silence ce n’est pas l’oubli c’est juste une mémoire sans parole » (Aharon Appelfelf) et cette mémoire s’est transmise.

Les parents transmettent par l’éducation, par leur image, par leur exemple et aussi par les non-dits, par ce qui n’est pas apparent et quoi de moins visible, que des silences. C'est une transmission hors langage mais quel que soit le mode de transmission, il y a réception et transformation.

Les survivants pensent qu’il faut être en haut de l’échelle sociale, et le travail est le moyen d’y accéder, ils vont s’y plonger avec acharnement. Ils vont se recréer une deuxième vie en réponse au traumatisme de la déportation avec des réflexes de survie parfois identiques aux réflexes du camp. Cette deuxième vie entraîne ce que Boris Cyrulnik appelle un « clivage » : le parent ne transmet alors que l’image sociale et non pas ce qu’il est. Dans l’identification aux parents il faudra répondre à cette réussite mais comment avoir la même énergie et le même courage dans l’acharnement au travail ? Comment répondre à une image et en même temps ne pas les décevoir dans leur espoir de voir leurs enfants se hisser encore plus haut dans l’échelle sociale ?

Pour les survivants, toutes les notions courantes de construction de la vie n’ont plus court. La notion du moi, du soi, la perception de la mort de sa propre mort, est totalement bouleversée. Le regard sur la nature de l’homme est autre. Après avoir vu ce que l’homme est capable de faire comment transmettre malgré tout du positif à ses enfants. Les enfants vont intégrer ce contrôle du jour avec une admiration pour l’image sociale forte et subir parfois ces cris et cauchemars de la nuit. Dans de nombreux témoignages, les enfants font les mêmes cauchemars que leurs parents

Les survivants ont eu deux vies : avant et après. Toute la difficulté pour eux est de faire coïncider ces deux vies. L’enfant va être le réceptacle des parents. Il va être le prolongement d’eux-mêmes. Il va réceptionner et intégrer le traumatisme de ses parents et en même temps le silence comme réponse engendré par ces traumatismes : en résumé une vulnérabilité dans des situations de stress, des sentiments de culpabilité, des anxiétés, un rapport particulier à la nourriture…etc.

Comme pour son parent le descendant peut parfois se considérer à la fois comme une victime potentielle et comme un rescapé de cette histoire. Le rôle de « messie » de l’enfant et la place mythologique des parents va aussi l’empêcher de remettre ce parent en question particulièrement au moment de l’adolescence.

Le père ou la mère, au-delà de sa propre fonction, sont la mémoire de la famille. Le parent débordant d’amour, sur-protecteur, ayant réussi socialement, porteur d’une dualité psychologique, provient en même temps d’un monde double : celui d’avant la Shoah et celui de l’extermination. Il est une figure de l’histoire porteur d’une mémoire silencieuse.

L’histoire individuelle de chaque enfant dans sa construction d’homme s’inscrit dans l’histoire de sa famille et dans l’Histoire.

La langue, le yiddish, elle-même, pour transmettre ces histoires est devenue silencieuse.

Pour nombre d’enfants c’est la langue des grands parents, souvent la langue des chuchotements entre parents, la langue des secrets.

Il est à souligner que pour certains écrivains qui ont témoigné, leurs écrits se sont faits dans une autre langue que la langue maternelle.

Ces trous de silence, il va falloir les combler soi-même, d’où ce besoin jamais assouvi de savoir.

Combien d’enfants de survivants ont lu des livres en cachette sur la shoah, regarder des films ou plus tard tenter d’expliquer des voyages à Auschwitz à des parents interloqués.

Comment percevoir sa judaïcité quand des parents par instinct de survie ont eu le réflexe de cacher la leur ?

Les parents et grands-parents ont transmis une judaïté de la souffrance.

Ils ont transmis une façon d’être juif, une façon traumatique d’être juif par la shoah et non par la croyance ou la pratique des rites. Comment sortir de ces silences, Primo Lévy laisse entendre : « le meilleur remède c’est de raconter »

A travers leurs silences les parents ont raconté, à travers leur vision de la vie ils ont raconté, à travers leur éducation aussi.

Les enfants portent en eux une part de la souffrance des parents ; Raconter, connaître tous les détails devient parfois obsédant.

Le mode de travail psychanalytique consiste à intégrer une composante oubliée : l’identité juive, reprendre langue avec l’autre et avec le juif d’avant, pas celui de la Shoah ;

Aller au-delà pour combler les trous dans l’histoire de la famille, faire un retour.

« Une seule chose m’était précisément interdite, c’elle de naître dans le pays de mes ancêtres, d’y grandir dans la continuité, d’une langue, d’une communauté » nous dit G Perec. Non ce n’est pas interdit, celà peut être aussi la victoire des enfants de survivants sur les nazis de renaître à ce monde, de redécouvrir ses auteurs, sa musique, sa cuisine aussi pourquoi pas !

C’est une quête de sens de la vie, et surtout une quête de soi. Par la redécouverte de la vie de ses aïeux c'est une écriture de soi. Les deuxième ou troisième génération peuvent avoir le désir de passer sur les lieux d'avant parce que ces lieux peuvent dire aussi, ils sont d’après Annelise Schulte Nordholt « investis d’une aura, surdéterminés, ils deviennent une véritable obsession. Ils sont les ancrages d’une post mémoire » et pour reprendre le jeu de mots de Perec à la fois ancrage et encrage.

"la psychanalyse ne peut pas changer un être humain; elle peut par contre le mettre en situation de connaitre les causes qui l'on fait devenir tel qu'il est car d'autres causes auraient pu le façonner différemment" (M.N.Cugnot). Cela implique également que la re-création de soi ne se déroule pas uniquement dans le cabinet de l'analyste mais aussi en dehors, dans la vie de tous les jours. Mais c'est dans le cadre serein et particulier du cabinet que la volonté de s'écrire soi-même se crée afin de ne pas être écrit par les siens ou tout du moins que la transmission ne soit pas influente à un point de plus être.

photos:Le mur des noms, Mémorial de la Shoah, Paris•Crédits :Godong/Universal Images Group-Getty

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