Les terres promises et la quête du mieux être

L’important dans une terre promise ce n’est pas la terre c’est la promesse[1] nous dit Jean Michel Guenassia dans le club des incorrigibles optimistes, plus de dix ans après nous retrouvons les joueurs d’échec du café le Balto, ils ont quitté l’arrière-salle du café et s’en vont trainant leur jeunesse d’avant 1968 ; Ils sont pleins d’espoir et de rêves d’un monde meilleur. Leurs terres promises pour certains sont sans espoir, pour d’autres ils prennent la forme d’idéologies de lendemain qui chantent, ou de nouveaux pays à construire. Au temps du plein emploi, du nouveau capitalisme qui émerge chacun imagine ses terres promises réelles ou intellectuelles. L’imagination est dans leur pouvoir et dans la rébellion : l’oppositions aux ainées. Les terres promises sont l’Algérie de l’indépendance, le jeune État d’Israël ou l’Union Soviétique du camarade Staline ; pour tous c’est dans le voyage que les promesses et l’espérance doivent se réaliser, c’est dans le chemin vers l’ailleurs que le nouveau monde qu’ils rêvent doit s’accomplir. Ils ne subissent pas l’histoire, et surtout pas celle des parents, ils veulent faire l’histoire. Ils ont ancré en eux le concept du « faire table rase du passé », le familial, le collectif ou l’identitaire. Au diable les idées bourgeoises de réussite sociale, de consommation, il est des pays à construire, un homme nouveau à inventer.
Mais la réalité, la real politique comme disent les politiciens les rattrape : Franck le déserteur, le paria, le communiste pure et dure revient au crépuscule de sa vie sur ses illusions perdues : Le moment est venu pour moi de réaliser ma vie, la vraie, celle à laquelle j’aspire depuis toujours, pas celle que la société m’a imposée, dans laquelle je ne me suis pas senti à l’aise. Ce chemin … était dissimulé au plus profond de moi, caché derrière les frénésies d’actions stériles et les combats perdus d’avance qui ne m’ont apporté qu’amertume et désillusions. Il n’y aura pas de monde meilleur sur cette terre…Je voulais que nos rêves deviennent réalité. Cela n’a pas marché. On ne peut pas changer le monde…[2] Il réalise après toutes les désillusions que le véritable voyage à accomplir c’est en lui qu’il doit le faire, c’est dans les tréfonds se son âme qu’il doit chercher, ce monde meilleur n’est pas ailleurs, ce qu’il cherchait au loin était si proche qu’il ne le voyait pas. On ne peut changer le monde, on ne peut que modestement se changer et se trouver soi ; plus on voyage loin, plus on cherche loin , plus on s’égare pour au bout du compte revenir au point de départ et ce point de départ ne peut faire l’impasse sur ce qui a été transmis de manière directe ou pas, en bien ou en mal, en paroles ou en silence parce que L’identité c’est paradoxalement la part de soi qui n’est pas soi, le nous dans le je, la généalogie dans l’individu, le fil à la nous dit Alain Finkielkraut dans son livre l’Après littérature.patte 3. C’est l’effet boomerang : vous le lancez très loin et il revient ; plus vous refoulez l’identité et plus dur sera le retour, ainsi que le dit le plus pur stalinien, l’agent du KGB en qui s’immiscent imperceptiblement les rituels de la synagogue et qui ne saisit pas ce qu’il lui arrive : Victor avait fini par mettre un nom sur son trouble, une étiquette sur sa gêne et ce qui était écrit n’était pas fait pour le réjouir…Non je ne suis pas juif. Leur histoire n’est pas la mienne. Je suis russe, communiste et fier de l’être. Et Victor fit ce que tout homme sensé fait en se découvrant une tare sociale : il la refoula.[4] jusqu’au jour ou il demande son visa pour Israël, visa qu’il n’obtiendra jamais, il avait trop refoulé, il avait été trop loin dans son implication de la fabrique du nouvel homme communiste, le retour n’était plus possible, la fin de son voyage se termine sous les coups des apparatchiks du KGB.
L’important dans une terre promise ce n’est pas la terre c’est la promesse, alors quand la promesse devient un mirage, une illusion, une désillusion, un cauchemar il reste pour beaucoup la croyance en l’être suprême, le grand architecte, le Dieu tout puissant qui est à chercher en soi par les prières, les rites ou la méditation ; ceci est un autre voyage, pour Franck ce fut aussi une impasse de sens, une autre illusion qui se rajoutait aux autres. L’ailleurs divin ne faisait que l’éloigner de ce qu’il était parce qu’il se dit que la vie est celle qu’on se fait, qu’on ne revient pas en arrière mais qu’on peut la vivre au lieu de vouloir changer la vie des autres et que finalement changer la société pour changer l’homme est un échec, pour changer la société ne vaut -il pas mieux changer l’homme d’abord et soi en premier mais ainsi que le dit rabbi Nachman faut-il commencer par soi et non finir par soi.
L’important dans une terre promise ce n’est pas la terre c’est la promesse : Ainsi Moise avait accompli son œuvre, tenu sa promesse ; il ne vit pas la terre promise, de cette terre promise Paul alias Franck en rêve mais c’est un mirage le nom que l’on donne à nos illusions, personne n’y accède jamais nous dit-il. Les terres promises sont en chacun de nous et tout le loisir de la vie est de chercher et dans la quête de soi et chacun sait que c’est le chemin qui compte.
La terre promise reste un rêve mais la terre ce n’est pas un sol car ainsi que nous dit Max Kohn : "Quelle idée que d’avoir un sol,....... cela ne veut rien dire ; la seule façon d’avoir un sol c’est de le chercher en soi, « avoir un sol est un leurre, nous avons le sol que nous nous donnons, quand nous recevons vraiment, quand nous faisons la place à l’inconscient en nous[5]" Encore faudrait-il faire la nuance entre sol, terre et pays. En Français le sol exprime les couches supérieures, superficielles de la surface terrestre alors que la terre évoque plutôt les profondeurs, un espace à labourer, à ensemencer et à cultiver tel notre jardin et il s’agit bien de cela dans le livre : une quête, une promesse d’atteindre les profondeurs et non pas de rester au niveau du sol, en surface. Atteindre les profondeurs de la terre c’est aller au-delà du sol territorial, c’est sans doute remonter le fil à la patte dont parlait A. Finkelkraut.
Patrick Abel, 06 déc. 21
[1] Le club des incorrigibles optimistes, Jean Michel Guenassia
[2]Les terres promises, Jean Michel Guenassia, Éditions Albin Michel, 2021
[3] L’après littérature, Alain Finkelkraut
[4]Les terres promises, Jean Michel Guenassia, Éditions Albin Michel, 2021 [5] Yiddishkeyt et psychanalyse, le transfert à une langue, Max Kohn